A. - L'Imamat des Imams d'Ahl-ul-Bayt ne constituait pas un centre de pouvoir et d'influence transmis héréditairement, de père en fils, et soutenu par un gouvernement, comme c'était le cas
des Fatimides et des Abbassides. Loin de là. L'Imam obtenait l'allégeance des bases populaires en les pénétrant spirituellement et en les convainquant intellectuellement du mérite de son Imamat
et de son aptitude à guider et à diriger la Umma sur des bases spirituelles et intellectuelles.
B. - Ces bases populaires se sont formées depuis la première époque de l'Islam, et elles se sont épanouies et élargies sous les Imamats d'al-Bâqer et de son fils al-Sâdiq. L'école que ces
deux Imams ont patronné parmi ces bases constituait un courant intellectuel largement répandu dans le monde islamique et comprenant des centaines de faqîh, de théologiens, d'exégètes et de
savants spécialisés dans les divers domaines du savoir islamique et humain, connus à l'époque. A ce propos al-Hassan Ibn 'Ali al-Wacha a dit: "Je suis entré dans la mosquée d'al-Kûfa et j'ai vu
neuf cents cheiks qui citaient tous Ja'far Ibn Muhammad".
C. - Les conditions que cette école représentative des bases populaires de la société islamique posait à la nomination d'un Imam et afin de s'assurer de sa qualification et de sa compétence
pour un tel poste, sont très sévères, car elle croyait qu'un Imam ne méritait ce titre que s'il était le plus savant des savants de son époque.
D. - L'école et ses bases populaires ont offert de grands sacrifices pour pouvoir défendre sa foi en l'Imamat, car celui-ci représentait, pour le califat de l'époque, un danger menaçant sa
conception, tout au moins sur le plan idéologique; et c'est ce qui a conduit les autorités à organiser régulièrement des campagnes de liquidation et de persécution contre les adeptes de cette
école, lesquels seront assassinés, emprisonnés ou éteints par centaines dans les ténèbres des geôles. Cela signifie que croire à l'Imamat d'Ahl-ul-Bayt coûtait cher à ces adeptes et ne leur
offrait comme récompense que le rapprochement supposé de Dieu.
E. - Les Imams auxquels ces bases ont prêté serment d'allégeance n'étaient pas à l'écart de leurs partisans, ni cloîtrés dans des tours d'ivoire comme le font les sultans avec leurs
peuples. Ils ne s'en séparaient que lorsque les autorités les en éloignaient, en les mettant en prison ou en les bannissant. On peut constater l'existence de ces contacts permanents entre les
Imams et leurs adeptes, à travers leurs correspondances, à travers les visites que les fidèles rendaient aux Imams lorsqu'ils venaient à Médine pendant la saison du Pèlerinage, à travers les
voyages que les Imams effectuaient, à travers les représentants qu'ils envoyaient aux quatre coins du monde islamique. Un grand nombre de rapporteurs et de transmetteurs de hadîth font état des
divers contacts qui montrent qu'il y avait un échange constant entre chaque Imam et ses bases ramifiées à travers les différentes régions de la nation islamique et les différentes catégories
sociales.
F. - Le Califat contemporain des Imams considérait ceux-ci et leur autorité spirituelle comme une source de danger pour son entité et son pouvoir. C'est pourquoi, il a tout fait pour
entamer cette autorité et a été conduit même à commettre des abus, à se montrer cruel et tyrannique, lorsque la nécessité de renforcer ses positions se faisait sentir. Les campagnes
d'emprisonnement et de persécution contre les Imams eux-mêmes, n'ont jamais cessé; bien que de tels agissements aient suscité le mécontentement et l'indignation des Musulmans et des partisans des
Imams, de tous niveaux.
Si nous tenons compte de ces six points, lesquels constituent des vérités historiques incontestables, nous pouvons aboutir à la conclusion suivante: le phénomène de l'"Imamat prématuré" est
un phénomène bien réel et n'a rien de fictif; car lorsqu'un Imam monte sur la scène de la vie publique alors qu'il est tout jeune, et s'annonce comme l'Imam spirituel et intellectuel des
Musulmans, et qu'il parvient à constituer un mouvement suivi par tant d'adeptes, il doit nécessairement faire preuve d'une connaissance remarquable dans le domaine de la science et du savoir, et
de largeur d'esprit et de compétence dans le domaine du Fiqh (jurisprudence islamique), de l'exégèse et des doctrines; sinon les bases populaires de l'Imamat (qui étaient comme nous l'avons
indiqué, en contact permanent avec leurs Imams, et pouvaient par conséquent connaître les détails de leur vie et de leur personnalité) ne l'auraient pas accepté comme Imam.
Comment peut-on, en effet imaginer que les masses, dont se composaient ces bases populaires, soient acquises à un "Imam enfant" qui s'annonçait devant elles, et au vu et au su de tout le
monde, comme étant l'Imam des Musulmans et l'ةtendard de l'Islam, et acceptent de sacrifier pour lui leur sécurité et leur vie, sans se donner la peine de vérifier de quoi il était capable et
sans qu'elles soient suffisamment frappées par son Imamat prématuré pour être tentées de sonder la réalité de ses qualifications et d'évaluer sa personnalité?
Même si l'on suppose que ces masses n'aient rien tenté pour sonder sa qualification, aurait-il été possible qu'elles n'aient pas fini par connaître la vérité après des mois ou des années
pendant lesquels elles étaient en contact permanent avec cet "Enfant Imam"? Celui-ci aurait-il pu dissimuler sa pensée et son savoir d'enfant, malgré les contacts fréquents qu'il avait avec les
fidèles, si sa pensée et son savoir étaient vraiment ceux d'un simple enfant? A supposer que les bases populaires de l'Imamat d'Ahl-ul-Bayt n'aient pas eu l'occasion de découvrir la vérité de la
situation (le fait que l'enfant fût réellement un enfant et rien de plus, et qu'il n'eût pas les qualités d'Imam), pourquoi le califat de l'époque (pour qui l'Imam représentait un véritable
danger) s'est-il tu sur cette vérité et ne l'a-t-il pas exploitée à son profit?
Pourtant, cela aurait été tellement facile pour les autorités de l'époque - le califat - si l'Imam al Mahdî avait été réellement un enfant dans sa pensée et sa culture, comme tout enfant
ordinaire de cet âge! Quelle meilleure dénonciation que de montrer aux Chi'ites et aux autres que le prétendant à l'Imamat aurait été un enfant et rien de plus, et de démontrer ainsi son
incompétence pour le leadership spirituel et intellectuel des Musulmans?
S'il était difficile de convaincre les gens de l'incompétence - pour l'Imamat - d'un homme de quarante ou de cinquante ans, imbu de la culture de son époque, une telle difficulté ne se fût
pas présentée, s'il s'était agi de les convaincre de l'incapacité d'un enfant - quelles que fussent son intelligence et sa sagacité - d'assumer la responsabilité d'un Imamat si exigeante et si
lourde chez les Chiites Imâmites!
Cela aurait été beaucoup plus facile, en tout cas, que les méthodes compliquées et risquées que les autorités de l'époque ont adoptées pour combattre l'Imamat.
La seule explication de l'abstention du califat de l'époque de jouer cette carte, est qu'il savait que l'"Imamat prématuré" était une réalité et n'avait rien d'artificiel. En fait, il est
arrivé à cette conclusion après avoir essayé vainement de le discréditer.
L'histoire nous relate des tentatives de ce genre, vouées toutes à l'échec, sans mentionner aucune situation dans laquelle l'"Imamat prématuré" eût été ébranlé ou inquiété, ni aucun cas où
l'"Enfant Imam" eût rencontré une difficulté dépassant sa compétence ou entamant la confiance des fidèles.
Ainsi s'explique notre affirmation que l'"Imamat prématuré" était un phénomène réel dans la vie d'Ahl-ul-Bayt et non une simple supposition.
Rappelons, en outre, que ce phénomène réel n'est pas un fait sans précédent: on lui retrouve des racines et des cas similaires dans le patrimoine divin apparu à travers les différents
messages célestes, Yahya (Jean) en est un exemple:
"...o Jean! Tiens le Livre avec force!
Nous lui apportâmes la Sagesse,
- alors qu'il n'était qu'un tout petit enfant - "
Coran XIX, 12.
Ayant établi que l'"Imamat prématuré" était un phénomène qui a existé réellement dans la vie d'Ahl-ul-Bayt, il ne nous reste aucune objection à l'Imamat prématuré d'al Mahdî et au fait
qu'il ait succédé à son père dès son enfance.