L’Imam demanda :
« Comment se nomme cet endroit ?
— Karbalâ, lui dit-on.
— O mon Dieu, s’exclame l’Imam, je prends refuge auprès de Toi contre l’épreuve et l’affliction ! »
C’est qu’en arabe, « affliction » se dit karb et « épreuve » se dit balâ’. Karbalâ, synthèse de karb et de balâ’, est donc le nom prédestiné de cette terre qui devait voir une épreuve comme
aucune terre n’en a connue et une affliction qui touchera le ciel lui-même et tous ses habitants.
« C’est ici, reprit l’Imam, le lieu de l’épreuve et de l’affliction, le lieu de la souffrance et du malheur. Descendez des montures, car c’est ici que nos tentes seront dressées et notre
sang versé, et c’est ici que nous reposeront. Mon grand-père, le Messager de Dieu, Dieu le bénisse lui et les siens, m’a informé de tout cela. »
Les compagnons de l’Imam Hossayn, la Paix soit avec lui, descendirent de montures et dressèrent le campement. En face, les hommes de Horr firent de même. Le lendemain, ces mille cavaliers
furent rejoints par quatre milles autres conduits par ‘Omar fils de Sa‘d, le maudit, celui-là même qui dirigera toutes les opérations de Karbala.
Peu avant la venue de l’Imam Hossayn en Iraq, ce maudit avait reçu des mains d’Ibn Ziyâd le gouvernement de la ville de Rayy, qui se trouvait à l’emplacement de l’actuelle Téhéran et qui
était alors la ville la plus importante de l’Iran. ‘Omar Ibn Sa‘d s’était déjà mis en route pour rejoindre son palais de gouverneur d’une si riche province, lorsqu’Ibn Ziyâd lui envoya un
messager pour lui dire d’aller d’abord combattre Hossayn et de le tuer avant de partir pour Rayy.
Omar Ibn Sa‘d se rendit auprès d’Ibn Ziyâd pour obtenir qu’il le décharge de cette mission. Ce dernier le lui accorda en lui précisant toutefois qu’il le déchargeait par la même occasion du
gouvernorat de Rayy. Omar Ibn Sa‘d demanda alors une nuit de réflexion qu’il passa à hésiter entre combattre le petit fils du Prophète et renoncer à la province de Rayy. Finalement, son malheur
l’emporta sur son bonheur et l’Enfer sur le Paradis : il accepta de mettre à mort le fils de son Prophète pour quelques jours de règne et de pouvoir, dont d’ailleurs il ne put jamais
jouir.
L’Imam ‘Alî, la Paix soit avec lui, le lui avait d’ailleurs bien prédit :
« Malheur à toi, ô fils de Sa‘d, dans quel état seras-tu lorsque tu auras à choisir entre l’Enfer et le Paradis et que tu choisiras l’Enfer ! »
Après quelques jours passés à des négociations entre les deux camps et des échanges de lettres avec le gouverneur de Koufa, ‘Omar Ibn Sa‘d reçut d’Ibn Ziyâd un message lui donnant l’ordre
de couper tout accès à l’Euphrate aux compagnons de Hossayn afin qu’ils ne puissent trouver la moindre goutte d’eau. Aussitôt, Ibn Sa‘d chargea quelque cinq cents hommes de surveiller les abords
du fleuve. Nous étions le 7e jour du mois de moharram, et depuis ce jour, seules quelques interventions miraculeuses permirent à la poignée d’hommes, de femmes et d’enfants qui entouraient l’Imam
Hossayn d’obtenir le minimum d’eau nécessaire pour survivre…, survivre jusqu’au martyre ou jusqu’à la captivité.
Ainsi, pendant trois jours et trois nuits, la caravane de l’Imam Hossayn, ne put se ravitailler en eau ; pendant trois jours et trois nuits, dans la chaleur étouffante des déserts de
l’Iraq, ces héros qui, lors de leur première rencontre avec les cavaliers de Horr, avaient abreuvés tous les hommes ainsi que leurs montures, ces héros se trouvèrent spoliés d’une eau dont mêmes
les bêtes sauvages n’étaient en rien privées ; pendant trois jours et trois nuits, des femmes privées d’eau en vinrent à n’avoir plus de lait pour allaiter leurs nourrissons ; pendant trois jours
et trois nuits, des enfants innocents dans toutes les religions, n’avaient plus que leurs larmes pour humecter leur langue.
Depuis l’arrivée d’Ibn Sa‘d à Karbala, des renforts venant de Koufa ne cessaient d’arriver sur cette terre d’épreuve et d’affliction. Au sixième ou septième jour du mois de moharram,
quelque vingt à trente milles cavaliers cernaient le petit camp des Gens de la Demeure prophétique et de leurs fidèles.
Une dernière fois, ‘Omar fils de Sa‘d entrevit une issue : Hossayn accepterait, écrivit-il à Ibn Ziyâd, non seulement de retourner d’où il était venu, mais même de partir s’installer dans
quelque limes des terres d’islam, voire d’être conduit auprès du Calife Yazîd afin qu’il décide de ce qu’il convenait de faire. Quoiqu’il soit fort douteux que l’Imam eut accepté cette dernière
solution, elle fut soumise à Ibn Ziyâd et il est alors clair qu’il ne reste aucune excuse à ces gens pour tout ce qu’ils ont fait subir à la Sainte Famille du Prophète et à leurs
fidèles.
Ibn Ziyâd faillit d’ailleurs accepter, trop content, comme Ibn Sa‘d, de se tirer aussi bien de cette embarrassante situation et de se laver les mains d’un sang aussi compromettant. Mais le
maudit parmi les maudits, Shamr fils de Dhî -djawshan, lui conseilla de n’en rien faire : qui sait ce qui pourrait bien arriver ? Mieux vaut en finir maintenant que Hossayn est dans nos griffes !
Et Ibn Ziyâd se rendit à la raison du pire… Il remit à Shamr une lettre pour Ibn Sa‘d :
« Si Hossayn et ses compagnons se soumettent sans condition, amène-les moi, mais sinon, combats-les jusqu’à la mort, puis mutile-les à titre du châtiment exemplaire qu’ils méritent. Et
lorsque Hossayn sera tué, fais fouler son cadavre par les sabots des chevaux. Si tu fais tout ce que je t’ordonne, tu en seras largement récompensé, mais sinon, tu seras destitué du commandement
de l’armée et c’est Shamr qui prendra ta place. »