Plusieurs proches de l’Imam tentèrent de le dissuader de se rendre en Iraq, mais en vain. Son cousin ‘Abd Allâh fils de Dja‘far rejoignit ainsi la caravane, porteur d’un sauf-conduit
garantissant la vie sauve et le meilleur traitement à l’Imam Hossayn, la Paix soit avec lui, pouvu qu’il renonçât à son entreprise. L’Imam lui répondit :
« J’ai vu le Prophète, que Dieu prie sur lui et les siens, dans un songe, et c’est pour me conformer à l’ordre qu’il me donna que je me suis mis en route.
— Raconte-moi ce songe, demanda alors ‘Abd Allâh fils de Dja‘far.
— A ce jour, je ne l’ai raconté à personne et je ne le raconterai pas non plus jusqu’à ce que je m’en aille à la rencontre de mon Seigneur. »
Et l’Imam reprit sa route.
Arrivé à un lieu dit « Dhât al-‘irq », la caravane en croisa une autre, qui venait de l’Iraq. Certains voyageurs s’empressèrent de mettre l’Imam en garde :
« En Iraq, dirent-ils, les cœurs des gens sont avec toi, mais leurs sabres sont du côté des Omayyades.
— C’est bien vrai, répondit l’Imam Hossayn, la Paix soit avec lui. En vérité, Dieu fait advenir ce qu’Il veut et décide comme Il veut. »
Lorsqu’ils approchèrent de l’Iraq, l’Imam, la Paix soit avec lui, envoya son frère de lait comme messager pour annoncer aux gens de Koufa son arrivée prochaine. Mais le messager fut capturé
et il lui fut donné à choisir entre mourir de male mort, livrer les noms de tous les rebelles à qui il apportait sont message ou bien monter en chaire pour bafouer et outrager publiquement l’Imam
Hossayn, son frère l’Imam Hassan et leur père, l’Imam ‘Alî, la Paix divine soit avec eux tous.
Le messager refusa de livrer les noms, mais accepta de s’adresser à la population rassemblée dans la grande mosquée. Il monta donc en chaire et là, après avoir loué Dieu et prié sur Son
Messager, il redoubla d’éloges et de bénédictions sur tous les membres de la Sainte Famille du Prophète, que Dieu prie sur lui et les siens, maudit les tyrans omayyades et leurs partisans, puis
lança un dernier appel :
« Gens de Koufa, je suis le messager de l’Imam Hossayn que j’ai laissé à tel endroit : que ceux qui veulent lui prêter main forte se hâtent de le rejoindre… »
Le courageux messager ne put aller plus loin. Il fut brutalement ramené à la citadelle pour être précipité vivant du haut de ses remparts.
Des nouvelles sur la réalité de la situation à Koufa commencèrent à parvenir à l’Imam Hossayn, la Paix soit avec lui. Deux hommes de la tribu des Banû Asad, qui avaient accompli le
Pèlerinage, avaient ensuite forcé leur marche pour rattraper la caravane de l’Imam. En chemin, ils avaient rencontré un homme de leur tribu qui leur avait raconté la fin tragique de Moslim et de
Hâni ainsi que la trahison des gens de Koufa. Ils s’empressèrent alors de rejoindre la caravane, vinrent trouver l’Imam et lui dirent :
« Nous avons une nouvelle à t’annoncer. Si tu le veux, nous la dirons devant tout le monde, et si tu le désires, nous t’en informerons en privé. »
L’Imam porta son regard sur eux, puis sur ses compagnons, et dit :
« Je n’ai rien à cacher à mes compagnons que voici. Dites ce que vous avez à dire. »
Et ils lui annoncèrent donc ce qui était arrivé à Moslim et à Hânî et le prièrent de rebrousser chemin. L’Imam fut profondément touché par cette nouvelle et repéta à plusieurs reprises
:
« Innâ li-llâh wa innâ ilayhi râdji‘ûn ! En vérité, nous sommes à Dieu et, en vérité, nous retournons vers Lui ! Que Dieu leur fasse miséricorde ! »
Peu de temps après, d’autres voyageurs apportèrent aussi la nouvelle du martyre du dernier messager de l’Imam Hossayn. Ce dernier s’adressa alors à tous ceux qui l’accompagnaient
:
« Grâce au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux et Très-Miséricordieux, certains d’entre eux ont [déjà] trépassé, d’autres attendent [leur tour]… Les nouvelles du martyre de nos compagnons
vous sont parvenues. La vérité est que nos partisans nous ont abandonnés. Sachez alors qu’il ne sera pas fait le moindre grief à qui voudrait nous quitter. »
Jamais on entendit le chef d’une armée sur le point de rencontrer l’ennemi faire une telle proposition. On en vit au contraire beaucoup qui coupaient toute voie de retraite à leurs hommes
afin de les contraindre au combat. C’est que dans ce soulèvement de l’Imam Hossayn, la Paix soit avec lui, il ne s’agissait pas de guerroyer pour un quelconque bénéfice, pour obtenir quelque
pouvoir ou ramasser quelque butin. Ce dont il était question, c’est du combat de la vérité et de la justice contre le mensonge et l’iniquité.
Dans ce combat, il ne s’agit pas d’avoir des hommes en quantité afin de gagner par le poids du nombre. La clé de tout, ici, est la conscience de l’homme : c’est à chacun qu’il incombe
d’avoir pleinement conscience de la bonne et juste cause, de l’épouser en son âme et conscience et de choisir son camp en toute conscience et en toute liberté. Si quelqu’un n’est pas conscient
des raisons de son engagement, mieux vaut qu’il se retire. Et le martyre de ceux qui restent, le martyre d’hommes et de femmes pleinement engagés dans la voie de Dieu et de la réalisation de
l’humanité véritable, sera le meilleur exemple pour que les générations futures puissent progresser, si Dieu le veut, dans cette prise de conscience.
De nombreux hommes, dont les motivations étaient faites d’ambitions de ce monde, abandonnèrent l’Imam ce jour-là et seuls restèrent ceux qui n’étaient mus que par la foi et la conviction.
Le fils aîné de l’Imam, ‘Alî fils de Hossayn, la Paix soit avec eux, dit alors :
« Père, ne sommes-nous pas dans le vrai ?
— Si, répondit l’Imam, nous sommes dans le vrai, j’en jure par ce Dieu vers lequel tous les serviteurs s’en retournent.
— Puisque nous sommes dans le vrai, reprit ‘Alî, pourquoi nous inquiéterions-nous de la mort ? »