Quand le fils de Taw‘a rentra à la maison, il remarqua les va-et-vient inhabituels de sa mère vers la pièce où elle avait caché Moslim. Il chercha à savoir de quoi il retournait et,
finalement, après qu’il ait juré de ne rien dire, sa mère lui révéla qu’elle avait offert asile à celui que tous les hommes du gouverneur recherchaient. Puis ils allèrent dormir, tandis que
Moslim, seul avec Dieu, passait la nuit en prière.
A l’aube, ‘Obaydollâh fils de Ziyâd fit proclamer dans toute la ville l’ordre de venir assister en sa présence à la Prière de l’aube. Quiconque, parmi les chefs de tribus et notables de la
ville, ne se rendrait pas à la mosquée sera exécuté et ses biens confisqués.
Après la Prière, le gouverneur monta en chaire et annonça que celui qui donnait abri à Moslim fils de ‘Aqîl le payerait de sa vie et de ses biens, tandis que toute personne qui aiderait à
sa capture se verrait largement récompensé.
Le fils de Taw‘a se leva alors pour livrer Moslim, et une troupe de soixante-dix hommes fut envoyée pour l’arrêter.
Lorsqu’il entendit le bruit de chevaux qui s’approchait, Moslim comprit ce qui se passait.
Innâ li-llâh wa innâ ilayhi râdji‘ûn ! En vérité, nous sommes à Dieu et, en vérité, nous retournons vers Lui !
Il se leva d’un bond, l’épée à la main, et se précipita vers la porte. Taw‘ah aussi avait entendu, et elle avait compris que son fils les avait trahis. Elle supplia Moslim de ne pas douter
d’elle, et il la rassura :
« Tu as fait tout ce que tu pouvais faire, Taw‘a, et tu bénéficieras de l’intercession de l’Envoyé de Dieu. Cette nuit, ajouta-t-il, à un moment où je m’étais assoupi, j’ai vu mon oncle, le
Commandeur des fidèles, l’Imam ‘Alî fils d’Abû Tâleb, la Paix soit avec lui. Il m’a promis : “Demain, tu seras auprès de moi !” »
Moslim bondit dans la ruelle et se retrouva face à face avec les hommes de main de ‘Obaydollah. Il se battit comme un lion, tuant et blessant beaucoup d’entre eux. Malgré leur nombre, ils
ne parvenaient pas à prendre le dessus. Ils eurent beau promettre à Moslim la vie sauve : que pouvait bien valoir la parole d’un homme de Koufa ?
Ils en vinrent à le lapider du haut des toits et à le bombarder d’objets enflammés, jusqu’à ce que, épuisé, couvert de blessures, Moslim s’écroule, frappé d’un coup de lance dans le
dos.
Les soudards s’emparèrent de lui, le chargèrent sur une mule et l’emmenèrent vers la citadelle.
Moslim ne pouvait retenir ses larmes et ces hommes, qui venaient d’être témoins de son courage, s’en étonnaient :
« Pourquoi pleurer ainsi ? Redouterais-tu la mort ?
— Ce n’est pas pour moi que je pleure, mais pour mon seigneur et maître, l’Imam Hossayn fils de ‘Alî, ainsi que sa famille, traîtreusement appelés par tous ces hypocrites. Le voilà qui a
quitté les lieux saints et se dirige vers nous, et ces pleutres, maintenant, l’abandonnent lâchement. Innâ li-llâh wa innâ ilayhi râdji‘ûn ! En vérité, nous sommes à Dieu et, en vérité, nous
retournons vers Lui… »
Moslim fût conduit à la citadelle. ‘Obaydollah ordonna qu’on le mène sur le toit et que là, devant la foule rassemblée, on lui tranche la tête.
C’était le 9e jour du mois de Dhu l-Hidjdja, le mois du Pèlerinage à La Mecque, ce jour où tous les pèlerins, venus des contrées les plus lointaines, sont rassemblés dans la plaine de
‘Arafât et réunis autour du Mont de Miséricorde.
La tête du premier martyr du soulèvement de l’Imam Hossayn tomba et roula aux pieds de la foule atterrée, puis son corps fut jeté du haut de la citadelle.
Hânî, l’un de ceux qui avait hébergé Moslim avant d’être dénoncé et arrêté par les hommes du gouverneur, fut conduit au marché aux moutons pour y être lui aussi décapité. Hânî était un des
chefs de la tribu Madhhadj, et il pouvait se vanter de pouvoir lever quatre milles cavaliers armés parmi les siens et de pouvoir en réunir trente milles autres parmi les tribus qui lui étaient
alliées. Il appela donc les membres de sa tribu :
« A moi les Madhhadj ! Je suis Hânî fils de ‘Orwah, votre chef ! N’y a-t-il donc plus de Madhhadj aujourd’hui pour venir me défendre ? »
Mais le climat de terreur que ‘Obaydollah avait réussi à répandre dans la ville était tel que pas un seul Madhhadj ne vint au secours de Hânî.
Et la tête de Hânî fut tranchée.
D’autres personnalités connues pour avoir soutenu Moslim furent encore arrêtées et exécutées.
Les corps de Moslim et de Hânî furent attelés à des chevaux et traînés à travers les rues de Koufa, pour terroriser encore davantage la population, puis il furent pendus à une potence sur
le marché au moutons. Quand à leurs têtes, elles furent le premier cadeau que Obaydollâh fils de Ziyâd envoya à Damas pour réjouir Yazîd fils de Mo‘âwiya, le calife omayyade.
Ce dernier fut fort satisfait de l’œuvre de son gouverneur. Il ordonna de suspendre les têtes aux portes de Damas et envoya une lettre pleine d’éloges, de remerciements… et de conseils
:
« J’ai ouï dire que Hossayn fils de ‘Alî se dirige vers l’Iraq : surveille donc toutes les routes, emploie tous les moyens possibles pour t’emparer de lui et surtout tue-le. Et informe-moi
chaque jour de tout ce que tu fais. »