Lorsqu’il entendit cet appel du petit-fils de l’Envoyé de Dieu, que les Prières et la Paix divines soient sur lui et les siens, Horr Ibn Yazîd ar-Riyâhî sentit son cœur se briser de
remords. C’était lui, lui qui avait barré la route à la troupe de l’Imam Hossayn ! lui qui les avait empêchés de rebrousser chemin ! lui qui les avait contraints à prendre cette voie qui les
avait menés ici, à Karbalâ’, terre d’épreuve et d’affliction ! Et ces soudards qui, d’un instant à l’autre, allaient se ruer sur cette poignée d’innocents abandonnés de tous, sur ces fils et
petits-fils de l’Envoyé de Dieu, dont les visages resplendissent de la lumière du Prophète disparu, sur ces fidèles compagnons dont tous les faits et gestes embaument le parfum de l’islam le plus
pur, sur ces filles et ces femmes de la Demeure prophétique dont la détresse aurait fendu le cœur de n’importe quel homme… Que dirait-il demain, au Jour du Jugement, et comment pourrait-il
seulement soutenir le regard du Prophète ?
Horr se dirigea vers ‘Omar Ibn Sa‘d : « Vraiment, tu combattras cet homme ?
— Oui, et j’en jure par Dieu, le moins qui puisse en être, c’est que les têtes volent et les mains soient tranchées ! »
Horr se mit à l’écart, harcelé de remords. Que pouvait-il bien faire ? Comment se repentir d’une aussi grande faute ? Etait-il encore temps d’obtenir le pardon ?
Perdu dans ses pensées, il avançait lentement vers le campement des gens de foi.
« Eh ! lança un soudard, que veux-tu faire ? Aurais-tu l’intention de lancer un assaut ? »
Horr se mit à trembler et ne répondit mot.
« Je n’y comprends plus rien, dit le soudard. Jamais, par Dieu, dans aucune guerre, je ne t’ai vu ainsi ; et si l’on m’avait demandé quel était le plus courageux des guerriers de Koufa, je
n’aurais pu citer personne d’autre que toi. Qu’est donc ce tremblement dont je te vois saisi ?
— Par Dieu, répondit Horr, mon âme doit maintenant choisir le Paradis ou bien l’Enfer, et j’en jure par Dieu, jamais je ne préférerai quoi que ce soit au Paradis, dussé-je être mis en pièce
ou bien livré au feu ! »
Et d’un coup d’éperon, il lança son coursier pour s’en aller rejoindre le camp des bienheureux.
La main sur la tête, en signe de repentir, Horr arrivait au campement :
« O mon Dieu, je reviens vers Toi contrit et repentant, alors pardonne-moi, car j’ai rempli d’effroi et d’inquiétude le cœur de Tes amis et des enfants de Ton Prophète ! »
Il se jeta aux pieds de l’Imam Hossayn, la Paix soit avec lui, lui embrassant les mains, qu’il mouillait de ses larmes :
« O fils de l’Envoyé de Dieu, que ma vie soit rançon de la tienne, c’est moi qui ne t’ai pas laissé prendre la route de ton choix, qui ne t’ai pas laissé passer ni retourner, et qui t’ai
amené en cette terre d’épreuve ! Jamais, par Dieu, jamais je n’aurais cru qu’on en arrive là, et si je l’avais su, je n’en aurais rien fait ! Maintenant que le remords m’étreint et me tourmente,
penses-tu que ce remords à l’agrément de Dieu ?
— Certes, répondit l’Imam, Dieu l’agrée et tu es pardonné. Maintenant lève-toi et prends place parmi nous !
— Je t’en prie, reprit Horr, donne-moi la faveur de partir le premier me battre devant toi comme je fus le premier à être contre toi.
— Que Dieu te fasse miséricorde, Horr ! Va, et fais comme il te semble bon ! »
Horr s’avança vers les troupes ennemies et se mit à les haranguer :
« … Traîtres, lâches, couards ! Comment osez-vous donc couper l’eau de l’Euphrate à ces femmes et enfants, alors que même les chiens et les pourceaux s’y abreuvent librement ! Voilà que la
famille du Prophète se meurt de soif sur la rive du fleuve ! Honte à vous ! Honte à vous !… »
‘Omar Ibn Sa‘d n’en pouvait plus. Il décocha une flèche et hurla :
« Soyez témoins que je fus le premier à tirer sur le camp de Hossayn ! »
Une pluie de flèches suivit et l’Imam, la Paix soit avec lui, s’écria :
« Debout, fidèles compagnons ! Soyez prêts à mourir, car il n’y a point d’autre issue ! Que Dieu vous fasse miséricorde ! Voilà les messagères que ces gens vous envoient. »
Après l’assaut, Horr bondit comme un lion vers le champ de bataille pour défier l’adversaire en combat singulier. Fidèle à sa réputation, il tuait, les uns après les autres, ceux qui
venaient vers lui. Son cheval, criblé de flèches, se mit à vaciller, mais lui, sautant à terre, continuait de faire voler son sabre et de couper les têtes, jusqu’à ce que, en désespoir de cause,
des soudards d’Ibn Sa‘d fondent sur lui en groupe et le fassent succomber.
Mais avant de mourir, Horr eut le temps de voir son Imam en personne venu le conforter dans ses derniers instants, et de l’entendre dire :
« Horr, “homme libre”, ta mère n’a pas eu tort en te donnant ce nom : homme libre, tu l’es, en ce monde et dans l’autre »