Quand le fils de Taw‘a rentra à la maison, il remarqua les va-et-vient inhabituels de sa mère vers la pièce où elle avait caché Moslim. Il chercha à savoir de quoi il retournait et,
finalement, après qu’il ait juré de ne rien dire, sa mère lui révéla qu’elle avait offert asile à celui que tous les hommes du gouverneur recherchaient. Puis ils allèrent dormir, tandis que
Moslim, seul avec Dieu, passait la nuit en prière.
A l’aube, ‘Obaydollâh fils de Ziyâd fit proclamer dans toute la ville l’ordre de venir assister en sa présence à la Prière de l’aube. Quiconque, parmi les chefs de tribus et notables de la
ville, ne se rendrait pas à la mosquée sera exécuté et ses biens confisqués.
Après la Prière, le gouverneur monta en chaire et annonça que celui qui donnait abri à Moslim fils de ‘Aqîl le payerait de sa vie et de ses biens, tandis que toute personne qui aiderait à
sa capture se verrait largement récompensé.
Le fils de Taw‘a se leva alors pour livrer Moslim, et une troupe de soixante-dix hommes fut envoyée pour l’arrêter.
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Lorsqu’il entendit le bruit de chevaux qui s’approchaient, Moslim comprit ce qui se passait.
Innâ li-Llâh wa innâ ilayhi râdji‘ûn ! En vérité nous sommes à Dieu et en vérité c’est vers Lui que nous retournons !
Il se leva d’un bond, l’épée à la main, et se précipita vers la porte. Taw‘ah aussi avait entendu, et elle avait compris que son fils les avait trahis. Elle supplia Moslim de ne pas douter
d’elle, et il la rassura :
« Tu as fait tout ce que tu pouvais faire, Taw‘a, et tu bénéficieras de l’intercession du Messager de Dieu. Cette nuit, ajouta-t-il, à un moment où je m’étais assoupi, j’ai vu mon oncle, le
Commandeur des fidèles, l’Imam ‘Alî fils d’Abou Tâlib, que la Paix soit avec lui. Il m’a promis : “Demain, tu seras auprès de moi !” »
Moslim bondit dans la ruelle et se retrouva face aux hommes de main de ‘Obaydollah. Il se battit comme un lion, en tuant et blessant beaucoup. Malgré leur nombre, ils ne parvenaient pas à
prendre le dessus. Ils eurent beau promettre à Moslim la vie sauve : que pouvait bien valoir la parole d’un homme de Koufa ?
Ils en vinrent à le lapider du haut des toits et à le bombarder d’objets enflammés, jusqu’à ce que, épuisé, couvert de blessures, Moslim s’écroule, frappé d’un coup de lance dans le
dos.
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Les soudards s’emparèrent de lui, le chargèrent sur une mule et l’emmenèrent vers la citadelle.
Moslim ne pouvait retenir ses larmes, et ces hommes qui venaient d’être témoins de son courage s’en étonnaient :
« Pourquoi pleurer ainsi ? Redouterais-tu la mort ?
— Ce n’est pas pour moi que je pleure, mais pour mon seigneur et maître, l’Imam Hossayn fils de ‘Alî, ainsi que sa famille, traîtreusement appelés par tous ces hypocrites. Le voilà qui a
quitté les lieux saints et se dirige vers nous, et ces pleutres, maintenant, l’abandonnent lâchement. Innâ li-Llâh wa innâ ilayhi râdji‘ûn ! En vérité nous sommes à Dieu et en vérité c’est vers
Lui que nous retournons… »
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Moslim fût conduit à la citadelle. ‘Obaydollah ordonna qu’on le mène sur le toit et que là, devant la foule rassemblée, on lui tranche la tête.
C’était le 9e jour du mois de Dhu l-Hidjdja, le mois du Pèlerinage à La Mecque, ce jour où tous les pèlerins venus des contrées les plus lointaines sont rassemblés dans la plaine de ‘Arafât
et réunis autour du Mont de Miséricorde.
La tête du premier martyr du soulèvement de l’Imam Hossayn tomba et roula aux pieds de la foule atterrée, puis son corps fut jeté du haut de la citadelle.
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Hânî, l’un de ceux qui avait hébergé Moslim avant d’être dénoncé et arrêté par les hommes du gouverneur, fut conduit au marché aux moutons pour y être lui aussi décapité. Hânî était l’un
des chefs de la tribu de Madh-hadj et il pouvait se vanter de pouvoir lever quatre milles cavaliers en armes parmi les siens et trente milles autres parmi les tribus alliées. Il appela donc les
membres de sa tribu :
« A moi les Madh-hadj ! Je suis Hânî fils de ‘Orwah, votre chef ! N’y a-t-il donc plus de Madhhadj aujourd’hui pour venir me défendre ? »
Mais le climat de terreur que ‘Obaydollah avait réussi à répandre dans la ville était tel que pas un seul Madh-hadj ne vint au secours de Hânî.
Et la tête de Hânî fut tranchée.
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D’autres personnalités connues pour avoir soutenu Moslim furent encore arrêtées et exécutées.
Les corps de Moslim et de Hânî furent attelés à des chevaux et traînés à travers les rues de Koufa, pour terroriser encore davantage la population, puis il furent pendus à une potence sur
le marché au moutons. Quand à leurs têtes, elles furent le premier cadeau que ‘Obaydollâh fils de Ziyâd envoya à Damas pour réjouir Yazîd fils de Mo‘âwiya, le Calife omeyyade.
Ce dernier fut fort satisfait de l’œuvre de son gouverneur. Il ordonna de suspendre les têtes aux portes de Damas et envoya une lettre pleine d’éloges, de remerciements… et de conseils
:
« J’ai ouï dire que Hossayn fils de ‘Alî se dirige vers l’Iraq : surveille donc toutes les routes, emploie tous les moyens possibles pour t’emparer de lui et surtout tue-le. Et informe-moi
chaque jour de tout ce que tu fais. »
– 3 –
La veille de ce jour, à La Mecque, l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui, se mettait en route pour l’Iraq. Avant d’être trahi, Moslim avait envoyé des lettres encourageantes à son
cousin à propos de la situation à Koufa. Des milliers de personnes, dont les principaux notables et chefs de tribus, ne lui avaient-ils pas fait allégeance en tant que représentant et homme de
confiance de l’Imam ?
Cela faisait maintenant quatre mois que Hossayn fils de ‘Alî, que la Paix soit avec eux, vivait à l’ombre de la Sainte Kaaba, se consacrant à l’adoration de Dieu et aux pratiques
spirituelles. Des fidèles, venus du Hidjâz et de Basra avaient commencé à se rassembler autour de ce seigneur. Au début du mois du Pèlerinage, l’Imam prit l’intention de faire le Hadj, le grand
Pèlerinage, et prononça les formules de consécration :
Labbayka Llâhumma labbayk ! Labbayka Llâhumma labbayk ! Inna l-hamda wa n-ni‘mata laka wa l-mulk, lâ sharîka laka, labbayk !
Me voici tout à Toi, ô mon Dieu, me voici tout à Toi ! La louange et la grâce en vérité sont Tiennes ainsi que le royaume, sans le moindre associé, me voici tout à Toi !
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A la veille du grand rassemblement de ‘Arafât, autour du Mont de Miséricorde, un hôte imprévu fit son apparition : ‘Amr fils de Sa‘îd fils de ‘As, ce rejeton d’une famille dont l’hypocrisie
ne parvenait pas à dissimuler la haine pour la religion de Dieu et qui s’était bien mal illustrée dans les précédents affrontements entre les omeyyades et la Sainte Famille du Prophète, Dieu le
bénisse lui et les siens ; ‘Amr fils de Sa‘îd fils de ‘As arriva à La Mecque avec une forte escorte, manifestant l’intention de faire le Pèlerinage.
L’Imam n’était pas dupe. Il savait bien qu’il était lui-même l’agneau que ces hommes rêvaient d’offrir en sacrifice, non pas à Dieu, mais au pouvoir omeyyade, leur nouvelle idole. Mais il
savait aussi, lui, que le lieu où il devait être sacrifié n’était pas le sanctuaire de La Mecque ni son Territoire Sacré… Il savait, lui, que l’heure de son immolation n’était pas le dixième jour
du mois sacré du Pèlerinage, mais un autre dixième jour d’un autre mois sacré… Il savait ce qu’il devait faire maintenant pour aller vers l’autel de son sacrifice, un autel qui avait pour nom
Affliction (karb) et Epreuve (balâ’)…
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Ainsi, à la veille de ce grand jour du Pèlerinage, l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui, accomplit, à la surprise de tous, les rites de désacralisation : il tourna sept fois autour de
la Kaaba, axe spirituel du monde, tandis que son cœur tournait autour du Trône divin, et il parcourut sept fois l’esplanade entre les collines de Safâ et Marwa, entre le mont de la crainte et
celui de l’espérance, ces deux ailes de la foi…
Il pouvait maintenant quitter le Territoire Sacré. Il se leva et, après avoir loué Dieu et prié pour son Messager, que les Bénédictions et la Paix divines soient sur lui et les siens, il
harangua la foule :
« ô gens, la mort est suspendue au cou des fils d’Adam comme un collier au cou des jeunes femmes. Je suis épris de revoir tous mes chers disparus tout comme l’était Jacob de revoir son
Joseph.
Il faut m’acheminer à la rencontre de la mort et du trépas qui furent choisis pour moi. Je vois déjà les jointures de mes os déchiquetées par les loups du désert dans une terre du nom de
Karbalâ, terre d’Epreuve et d’Affliction, pour repaître le ventre vide de leurs vains espoirs.
On n’élude ni ne fuit ce que la plume du destin a tracé pour chacun, et nous, Gens de la Demeure prophétique, nous avons acquiescé, pleinement satisfait, à tout décret de Dieu et affrontons
avec belle patience chacune de Ses épreuves. […]
Maintenant, ceux qui ne se font pas souci d’offrir leur vie dans notre voie et ne rechignent pas au sacrifice de soi en vue de rencontrer la Vérité suprême, qu’ils plient armes et bagages
et se joignent à moi, car demain la caravane se mettra en route ! »
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L’Imam ayant ainsi annoncé son départ imminent, son demi-frère, Mohammad Ibn al-Hanafiyya vint le trouver pour l’en dissuader :
« Frère, tu n’ignores pas ce qu’on fait les gens de Koufa avec ton père et ton frère et comment ils les ont trompés et trahis. Je crains qu’il ne fassent de même avec toi. Si, donc, tu
décidais de rester à La Mecque, qui est le Sanctuaire de Dieu, tu serais respecté et honoré et personne n’osera porter la main sur toi.
— Frère, répondit l’Imam, je crains fort que Yazîd ne me fasse périr à La Mecque et que cette vénérable Demeure soit ainsi profanée.
— En ce cas, rends-toi donc au Yémen ou bien dirige tes pas vers le désert, afin que nul ne puisse mettre la main sur toi.
— C’est une proposition qui mérite réflexion. »
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A l’aube, cependant, la caravane de l’Imam Hossayn se mit en route en direction de l’Iraq. Dès que Mohammad Ibn al-Hanafiyya eut vent de ce départ, il rejoignit en hâte la caravane et
saisit les rênes de la chamelle de l’Imam :
« Frère, ne m’avais-tu pas promis de réfléchir à ma proposition d’hier ?
— Si, je te l’ai promis.
— Alors, pourquoi quitter La Mecque avec autant de précipitation ?
— C’est que, juste après ton départ, le Prophète, Dieu le bénisse lui et les siens, est venu me trouver et m’a dit : “Hossayn, va, mets toi en route ! En vérité, Dieu veut te voir tomber
dans Sa voie !”
— Innâ li-Llâh wa innâ ilayhi râdji‘ûn ! En vérité nous sommes à Dieu et en vérité c’est vers Lui que nous retournons ! Mais, si ta destination est ainsi le martyre, pourquoi donc
emmènes-tu ces femmes avec toi ?
— C’est que Dieu veut les voir captives… »
Le cœur serré d’une détresse immense et les yeux pleins de larmes, Mohammad Ibn al-Hanafiyya fit ses derniers adieux à son frère et Imam, puis rebroussa chemin… La caravane de fidèles et de
proches reprit paisiblement sa marche vers son destin grandiose…
– 4 –
Plusieurs proches de l’Imam tentèrent de le dissuader de se rendre en Iraq, mais en vain. Son cousin ‘Abd Allâh fils de Dja‘far rejoignit ainsi la caravane, porteur d’un sauf-conduit
garantissant la vie sauve et le meilleur traitement à l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui, pourvu qu’il renonçât à son entreprise. L’Imam lui répondit :
« J’ai vu le Prophète, Dieu le bénisse lui et les siens, dans un songe, et c’est pour me conformer à l’ordre qu’il me donna que je me suis mis en route.
— Raconte-moi ce songe, demanda alors ‘Abd Allâh fils de Dja‘far.
— A ce jour, je ne l’ai raconté à personne et je ne le raconterai pas non plus jusqu’à ce que je m’en aille à la rencontre de mon Seigneur. »
Et l’Imam reprit sa route.
Arrivé à un lieu dit « Dhât al-‘irq », la caravane en croisa une autre, qui venait de l’Iraq. Certains voyageurs s’empressèrent de mettre l’Imam en garde :
« En Iraq, dirent-ils, les cœurs des gens sont avec toi, mais leurs sabres sont du côté des Omeyyades.
— C’est bien vrai, répondit l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui. En vérité, Dieu fait advenir ce qu’Il veut et décide comme Il veut. »
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Lorsqu’ils approchèrent de l’Iraq, l’Imam, que la Paix soit avec lui, envoya son frère de lait comme messager pour annoncer aux gens de Koufa son arrivée prochaine. Mais le messager fut
capturé et il lui fut donné à choisir entre mourir de male mort, livrer les noms de tous les rebelles à qui il apportait son message ou bien monter en chaire pour bafouer et outrager publiquement
l’Imam Hossayn, son frère l’Imam Hassan et leur père, l’Imam ‘Alî, que la Paix divine soit avec eux.
Le messager refusa de livrer les noms, mais accepta de s’adresser à la population rassemblée dans la grande mosquée. Il monta donc en chaire et là, après avoir loué Dieu et prié pour Son
Messager, il redoubla d’éloges et de bénédictions sur tous les membres de la Sainte Famille du Prophète, Dieu le bénisse lui et les siens, maudit les tyrans omeyyades et leurs partisans, puis
lança un dernier appel :
« Gens de Koufa, je suis le messager de l’Imam Hossayn que j’ai laissé à tel endroit : que ceux qui veulent lui prêter main forte se hâtent de le rejoindre… »
Le courageux messager ne put aller plus loin. Il fut brutalement ramené à la citadelle pour être précipité vivant du haut de ses remparts.
Le courageux messager ne put aller plus loin. Il fut brutalement ramené à la citadelle pour être précipité vivant du haut de ses remparts.
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Des nouvelles sur la réalité de la situation à Koufa commencèrent à parvenir à l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui. Deux hommes de la tribu des Banû Asad, qui avaient accompli le
Pèlerinage, avaient ensuite forcé leur marche pour rattraper la caravane de l’Imam. En chemin, ils avaient rencontré un homme de leur tribu qui leur avait raconté la fin tragique de Moslim et de
Hâni ainsi que la trahison des gens de Koufa. Ils s’empressèrent alors de rejoindre la caravane, vinrent trouver l’Imam et lui dirent :
« Nous avons une nouvelle à t’annoncer. Si tu le veux, nous la dirons devant tout le monde, et si tu le désires, nous t’en informerons en privé. »
L’Imam porta son regard sur eux, puis sur ses compagnons, et dit :
« Je n’ai rien à cacher à mes compagnons que voici. Dites ce que vous avez à dire. »
Et ils lui annoncèrent donc ce qui était arrivé à Moslim et à Hânî et le prièrent de rebrousser chemin. L’Imam fut profondément touché par cette nouvelle et repéta à plusieurs reprises
:
« Innâ li-Llâh wa innâ ilayhi râdji‘ûn ! En vérité nous sommes à Dieu et en vérité c’est vers Lui que nous retournons ! Que Dieu leur fasse miséricorde ! »
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Peu de temps après, d’autres voyageurs apportèrent aussi la nouvelle du martyre du dernier messager de l’Imam Hossayn. Ce dernier s’adressa alors à tous ceux qui l’accompagnaient
:
« Grâce au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux et Très-Miséricordieux, certains d’entre eux ont [déjà] trépassé, d’autres attendent [leur tour]… Les nouvelles du martyre de nos compagnons
vous sont parvenues. La vérité est que nos partisans nous ont abandonnés. Sachez alors qu’il ne sera pas fait le moindre grief à qui voudrait nous quitter. »
Jamais on entendit le chef d’une armée sur le point de rencontrer l’ennemi faire une telle proposition. On en vit au contraire beaucoup qui coupaient toute voie de retraite à leurs hommes
afin de les contraindre au combat. C’est que dans ce soulèvement de l’Imam Hossayn, que la Paix soit avec lui, il ne s’agissait pas de guerroyer pour un quelconque bénéfice, pour obtenir quelque
pouvoir ou ramasser quelque butin. Ce dont il était question, c’est du combat de la vérité et de la justice contre le mensonge et l’iniquité.
Dans ce combat, il ne s’agit pas d’avoir des hommes en quantité afin de gagner par le poids du nombre. La clé de tout, ici, est la conscience de l’homme : c’est à chacun qu’il incombe
d’avoir pleinement conscience de la bonne et juste cause, de l’épouser en son âme et conscience et de choisir son camp en toute conscience et en toute liberté. Si quelqu’un n’est pas conscient
des raisons de son engagement, mieux vaut qu’il se retire. Et le martyre de ceux qui restent, le martyre d’hommes et de femmes pleinement engagés dans la voie de Dieu et de la réalisation de
l’humanité véritable, sera le meilleur exemple pour que les générations futures puissent progresser, si Dieu le veut, dans cette prise de conscience.
De nombreux hommes, dont les motivations étaient faites d’ambitions de ce monde, abandonnèrent l’Imam ce jour-là et seuls restèrent ceux qui n’étaient mus que par la foi et la conviction.
Le fils aîné de l’Imam, ‘Alî fils de Hossayn, que la Paix soit avec eux, dit alors :
« Père, ne sommes-nous pas dans le vrai ?
— Si, répondit l’Imam, nous sommes dans le vrai, j’en jure par ce Dieu vers lequel tous les serviteurs s’en retournent.
— Puisque nous sommes dans le vrai, reprit ‘Alî, pourquoi nous inquiéterions-nous de la mort ? »
– 5 –
Au matin, la petite caravane, qui ne comptait plus que quelques proches et fidèles, reprit sa route. Elle ne tarda pas à être interceptée par une troupe de mille cavaliers conduits par Horr
fils de Yazîd ar-Riyâhî, noble et illustre guerrier de Koufa. Les deux groupes se faisaient face, sabres aux côtés, sous le soleil brûlant des déserts de l’Iraq…
L’Imam Hossayn vit l’effet de la soif sur les visages de ceux qui lui bloquaient la route. Il donna l’ordre aux siens d’abreuver tous ces hommes ainsi que leurs montures. Lorsque le soleil
fut au zénith, l’Imam donna l’ordre d’appeler à la Prière de midi, puis il vint se placer entre les rangs, loua Dieu, bénit Son Prophète et s’adressa aux hommes de Koufa :
« Hommes, je ne suis venu vers vous qu’après avoir reçu de vous lettre après lettre et message après message. Vous me disiez n’avoir ni Guide ni Imam autre que moi et me demandiez de vous
rejoindre pour conduire votre soulèvement. Si vous êtes toujours fidèle à votre parole, renouvelez votre pacte avec moi, et si vous avez rompu votre engagement et ne voulez plus de moi, alors je
m’en retournerai d’où je viens. »
Personne ne souffla mot. Après la Prière, chacun s’abrita comme il put de la canicule implacable qui faisait régner un silence écrasant.
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Lorsque le soleil déclina, l’Imam ordonna de se préparer au départ et fit appeler à la Prière de l’après-midi. Il s’adressa encore une fois aux hommes de Koufa : « Hommes, si vous craignez
Dieu et reconnaissez le juste droit des hommes de Dieu, Dieu se montrera satisfait de vous. Nous sommes les Gens de la Demeure du Prophète et de la Prophétie et nous valons mieux que ce ramassis
qui prétend injustement au gouvernement et fait régner parmi vous l’injustice et l’iniquité. Mais si vous êtes enracinés dans votre ignorance et votre égarement, et que vous êtes revenus sur ce
que vous m’avez écrit dans vos lettres, peu importe : je m’en retourne. »
Cette fois, Horr répondit : « Je ne sais rien de ces lettres et de ces messagers dont tu parles. »
L’Imam fit alors vider deux sacs pleins des lettres des gens de Koufa. Horr reprit : « Je ne suis pas de ceux-là qui t’ont écrit des lettres. Nous avons reçu l’ordre, au cas où nous te
croiserions, de ne pas te laisser partir et de te conduire à Koufa auprès d’Ibn Ziyâd. »
L’Imam se mit en colère : « Tu mourras plutôt que de pouvoir réaliser cela ! »
Et il ordonna de se mettre en route pour retourner vers Médine. Horr et ses mille cavaliers s’interposèrent et coupèrent la route du retour.
« Que ta mère porte ton deuil ! invectiva l’Imam, que la Paix soit avec lui, que veux-tu ? »
— Si un autre que toi avait ainsi mentionné ma mère, j’aurais fait de même avec la sienne, répondit Horr, mais je ne peux évoquer ta mère, la fille bien-aimée du Prophète, qu’avec déférence
et vénération.
— Que cherches-tu ? reprit l’Imam.
— Je veux te conduire auprès de l’Emir ‘Obaydollâh.
— Je ne t’y suivrais pas, répondit l’Imam. »
Et leur échange se poursuivit longtemps, jusqu’à ce que Horr dise :
« Je n’ai pas reçu l’ordre de te combattre, mais seulement de ne pas te laisser partir et de te conduire à Koufa. Puisque tu refuses de t’y rendre, choisis donc une voie qui ne mène pas
vers Koufa ni ne ramène vers Médine. J’écrirai à Ibn Ziyâd en espérant que l’épreuve de combattre un homme aussi vénérable que toi me sera épargnée. »
Les deux troupes, chevauchant de concert, prirent alors une route qui évitait Koufa.
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Un cavalier arrivait à bride abattue. Il venait de la direction de Koufa. Les deux troupes firent halte et attendirent. L’homme, qui portait un arc sur le dos, ne salua même pas l’Imam
Hossayn : il partit droit auprès de Horr, le salua et lui tendit une lettre. C’étaient les ordres d’Ibn Ziyâd :
« Dès réception de ma lettre, fais pression sur Hossayn et les siens et ne le mène que dans un endroit hostile, inhabité et sans eau. J’ai donné ordre à mon messager de ne pas te quitter
avant que cela ne soit fait, puis de me le faire savoir. »
Certains compagnons de l’Imam le pressèrent alors de déclencher le combat contre ces hommes avant qu’ils ne soient rejoint par des troupes sans nombre. Mais l’Imam répondit qu’il lui
répugnait d’être celui qui ouvre les hostilités. Il réunit tous ses compagnons, se dressa au milieu d’eux, loua Dieu, bénit Son Messager, puis les harangua avec la plus grande éloquence
:
« Les choses en sont arrivées là-même où vous voyez : ce monde nous a tourné le dos et nous en sommes à nos dernières gorgées de vie ; les gens ont abandonné le vrai pour s’unir dans
l’erreur. Quiconque a foi en Dieu et en le jour du Jugement, qu’il se détourne de ce bas-monde et s’éprenne de passion pour la rencontre de son Seigneur. Tomber martyr pour le droit et la vérité
ouvre la porte au bonheur éternel, tandis que vivre sous le joug des iniques n’offre que malheurs et souffrances. »
Zohayr fils de Qayn se leva alors et dit : « ô fils du Messager de Dieu, nous avons entendu tes paroles. Pour nous, les choses sont telles que, même si ce monde devait pour nous durer
éternellement, nous préférerions mourir avec toi ! »
Nâfi‘ fils de Hilâl se leva ensuite pour ajouter : « J’en jure par Dieu, nous n’avons aucune aversion à mourir dans la voie de Dieu. Nous sommes fermement déterminés et pleinement
conscients dans notre voie : nous sommes les amis de tes amis et les ennemis de tes ennemis. »
Enfin, Borayr fils de Khodhayr se leva pour conclure : « J’en jure par Dieu, ô fils du Messager de Dieu, c’est une grâce que Dieu nous fait de combattre avec toi, de voir nos membres
séparés de nos corps et de bénéficier ensuite de l’intercession de ton grand-père au jour du Jugement. »