En vertu du Traité de Hudaybiyyah, les Mecquois, qui étaient les plus grands ennemis du Prophète et les plus puissants alliés des Juifs, ne pouvaient plus assister ces derniers dans leurs
hostilités contre le Prophète. La Providence fournit ainsi à l'Apôtre du Seigneur une bonne occasion de mettre fin une fois pour toutes aux difficultés que les Juifs de Khaybar ne cessaient de
lui causer. Aussi, au mois de Moharrem de l'an 7 H.
organisa-t-il une expédition forte de mille six cents hommes contre eux. Arrivé à Sahba, il trouva plusieurs chemins conduisant vers des directions différentes. Enfin, l'armée ayant engagé
un guide, se dirigea vers Khaybar, marchant la nuit et se reposant le jour. Sur son chemin, elle croisa un homme suspect qui ne tarda pas à avouer qu'il était un espion. Contre la promesse
d'avoir la vie sauve, celui-ci informa les combattants musulmans que les Juifs étaient déjà au courant de l'intention du Prophète de ne pas laisser impunies les actions criminelles qui avaient
été perpétrées contre ses hommes, et qu'ils avaient demandé le secours de leurs alliés bédouins de chez lesquels `Oyaynah était déjà arrivé, et qu'ils attendaient bientôt l'arrivée des Banî
Ghatafân. Lorsque le Prophète fut arrivé à Raji`, un lieu situé entre Khaybar et les campements des Banî Ghatafân, il ordonna qu'on y fasse halte. Les Banî Ghatafân qui s'étaient déjà apprêtés à
sortir pour porter secours à leurs alliés à Khaybar, décidèrent de rester sur place, constatant que leurs propres familles étaient exposées au danger (A1-Tabarî). Laissant un contingent à Rajî`,
le Prophète poursuivit sa progression et surprit les Juifs de Khaybar à leurs portes, t8t le matin. IL était à la tête d'une force de quatorze cents hommes, dont environ deux cents cavaliers. Les
Juifs étant sortis le matin de leurs maisons, furent frappés de stupeur de se trouver confrontés tout d'un coup à une si grande force.
La Vallée de Khaybar était parsemée d'une dizaine de forteresses solidement implantées sur des monticules rocailleux et dont quelques-unes, telles qu'A1-Qâmus, A1-Qatieba, A1-Watih et
Solalim, étaient réputées imprenables. A présent toute aide extérieure était rendue impossible. Les Juifs, comptant sur leur nombre - de loin plus important que la troupe de l'ennemi sur leur
propre courage et sur leurs citadelles, décidèrent de résister. Mais une fois assiégés dans leurs forteresses, ils ne purent résister longtemps et durent finalement les évacuer après une ou deux
sorties. Ainsi toutes les citadelles inférieures par lesquelles les Musulmans avaient commencé leurs attaques tombèrent les unes après les autres entre leurs mains.
A la fin, les Juifs se joignirent à leur chef, le roi de leur nation, Kinânah fils de Rabî` et petit-fils de Abul-Haqîq. IL vivait dans une citadelle solidement fortifiée de Khaybar, nommée
al-Qâmûs, aux murs hauts et imposants, construits sur un roc escarpé et qui était considéré comme imprenable. Elle était bien protégée par des fortifications et bien gardée par des soldats
courageux, parce qu'elle renfermait les trésors du roi. Dès que le Prophète lança un regard sur la forteresse, il se mit avant tout à prier le Tout-Puissant Seigneur, Le suppliant de livrer la
citadelle aux Musulmans. Et aussi longtemps qu'il campa devant elle, il offrit les prières quotidiennes sur une roche dure, appelée Manselah, et en fit le tour sept fois par jour. Plus tard, un
masdjid sera érigé à cet endroit, en souvenir de ce lieu d'adoration du Prophète, qui fera l'objet de vénération des Musulmans pieux.
Le siège d'A1-Qâmûs fut la tâche la plus éprouvante pour les Musulmans, qui ne s'étaient encore jamais attaqués à une telle forteresse. IL dura un certain temps et mit à l'épreuve
l'habilité et la patience des Musulmans, qui commencèrent à manquer de provisions. Toute la région environnante fut ravagée par les Juifs durant cette période - environ un mois lorsque les
Musulmans donnaient l'assaut contre la petite forteresse. Les Juifs avaient abattu même leurs dattiers se trouvant autour de leur citadelle afin d'affamer l'ennemi, et ayant résolu de se battre
désespérément, ils se postèrent devant la citadelle. Les assiégeants essayèrent d'avancer vers eux, mais tous leurs assauts furent repoussés. Le Prophète, qui souffrait beaucoup de maux de tête,
passa son Etendard à Abû Bakr Ibn Abî Quhâfah et lui ordonna de mener l'assaut, mais il fut sévèrement repoussé par les Juifs et obligé de battre en retraite. Ensuite le Prophète confia l'assaut
suivant au commandement de `Omar Ibn al-Khattab qui porta d'étendard, le résultat n'en fut qu'une retraite forcée. Les soldats, de retour auprès du Prophète, accusèrent leur commandant, `Omar, de
manquer de courage, alors que lui, il les accusa de lâcheté. Le Prophète, ayant été ainsi déçu par l'échec de ses plus éminents compagnons, s'écria : "Demain je remettrai mon Drapeau à quelqu'un
que Dieu et Son Prophète aiment, un éternel fonceur redoutable qui ne tourne jamais le dos à l'adversaire. C'est par lui que le Seigneur accordera la victoire". Chacun des principaux compagnons
du Prophète était soucieux d'être le lendemain signalé comme étant "le bien-aimé de Dieu et de Son Prophète".
Ils passèrent la nuit dans une grande anxiété pour savoir qui serait l'être béni. Personne ne pensa à `Ali, - le cousin et le lieutenant du Prophète, le héros de toutes les précédentes
guerres - parce qu'il souffrait sérieusement de ses yeux très malades et ne pouvait rien voir. Selon certains hadiths, il était absent à cette occasion, se trouvant plut6t à Médine. Toutefois, le
Prophète ayant crié : "Nadi `Ali" (`Ali est appelé), celui-ci surgit sur-le-champ avec des yeux très malades. Tous attendaient, sur des charbons ardents, la naissance de ce lendemain, entourant
le Prophète comme des étoiles scintillantes, chacun essayant de miroiter pour se faire remarquer. Sa`d Ibn Abî Waqqâç, pour attirer l'attention sur lui, se jeta par terre, puis se leva,
prétendant qu'il était tombé. Toutefois, le Prophète ne semblait tenir compte d'aucune personne en particulier. Lorsqu'il rompit le silence pour demander où était `Ali, ils répondirent tous d'une
seule voix qu'il souffrait sérieusement de ses yeux malades et qu'il était tout à fait incapable de voir ce qu'il y avait autour de lui. Le Prophète leur ordonna de le faire venir. Salma B. Ako`
l'amena en le tenant par la main. Le Prophète prenant la tête de `Ali et la mettant dans son giron, appliqua sa salive sur ses yeux. Immédiatement, ses yeux devinrent si clairs qu'on eût dit
qu'ils n'avaient jamais été malades. Et on dit qu'il ne souffrit plus jamais, sa vie durant, de troubles oculaires depuis ce jour-là.
Le Prophète confia sa Bannière sacrée aux mains de `Ali et l'arma de son épée, Thulfiqâr, le désignant ainsi comme étant l'homme que Dieu et Son Prophète aiment. Il ordonna à `Ali de
conduire l'assaut et de combattre jusqu'à ce que les Juifs acceptent de se soumettre. `Ali, vêtu d'une veste écarlate sur laquelle une cuirasse d'acier était attachée, avança à la tête de ses
partisans, et escaladant le rocher pierreux, situé en face de la forteresse, il planta l'Etendard sur son sommet, et prit la résolution de ne pas reculer d'un pouce, jusqu'à ce que la citadelle
fût prise.
Les Juifs se mirent en route pour déloger les assaillants. Un rabbin juif demanda à `Ali son nom, lequel dit qu'il était `Ali Ibn Abî Tâlib ou Haydar. Le rabbin ayant entendu ce nom,
présagea à l'intention de ses hommes que les assaillants ne se retireraient pas sans avoir gagné du terrain. Cependant, Hârith, un héros juif qui avait réussi à repousser vigoureusement les
précédentes attaques, s'avança et tua plusieurs adversaires musulmans. `Ali, ayant vu cela, avança lui-même, s'engageant dans un combat au corps à corps contre lui, et le tua puis revint à ses
lignes. Le frère de Hârith était d'une stature gigantesque et d'un corps imposant. IL était d'une valeur inégalable parmi les Juifs. Pour venger la mort de son frère, il sortit des rangs, couvert
du cou à la taille d'une double cotte de mailles, coiffé d'un heaume de protection, autour duquel était enroulé un double turban, et au milieu duquel était enchâssée une pierre pour le protéger
contre les coups de cimeterre.
Il avait une épée énorme qui le ceignait des deux côtés et brandissait une grande lance à trois têtes fourchues et bien pointues. Sortant des lignes des Juifs, il avança et défia ses
adversaires de s'engager dans un combat singulier contre lui : "Comme tout Khaybar le sait, je suis Marhab, un guerrier hérissé d'armes dans une guerre furieuse et ravageuse", s'écria-t-il. Aucun
Musulman n'osa avancer pour l'affronter, sauf `Ali qui sortit de la ligne musulmane pour répondre à son défi vaniteux, en disant: "Je suis celui que sa mère a nommé Haydar. Je pèse mes ennemis
dans une gigantesque balance (c'est-à-dire je ne vais pas par quatre chemins avec mes ennemis)". Les mots de `Ali n'étaient pas des mots creux. `Ali sut par inspiration que Mahrab avait
dernièrement rêvé d'un lion robuste le déchirant en morceaux. Aussi rappela-t-il à Mahrab ce rêve afin de l'intimider.
Les mots eurent leur effet, puisque lorsque les deux combattants s'approchèrent, `Ali jetant sur lui un coup d'œil, le trouva tremblotant. Une fois proches l'un de l'autre, Mahrab fit un
coup d'estoc en direction de `Ali avec sa lance à trois fourchons. `Ali esquiva avec dextérité le coup, et avant que son adversaire ait pu se recouvrir, il lui administra un coup avec son
irrésistible cimeterre, l'hulfiqâr, qui coupa en deux son bouclier, traversant son double turban, son heaume impénétrable et son crâne, fendant sa tête et descendant jusqu'à sa poitrine ou encore
plus bas jusqu'à sa selle, le découpant carrément en deux selon certains hadiths. IL tomba sans vie par terre, et le vainqueur annonça sa victoire par son cri habituel : "Allâh-u-Akbar" (Dieu est
le Plus Grand), ce qui permit à tout le monde de savoir que `Ali était sorti victorieux.
Dès lors les Musulmans avancèrent en masse et il y eut une mêlée. Sept parmi les plus éminents guerriers juifs, à savoir Mahrab, `Antar, Rabî`, Zajîj, Dâûd, Morrah et Yâcir, tombèrent sous
les coups d'épée de `Ali, et le reste de l'armée juive battit en retraite pour se réfugier dans la citadelle et échapper à ses poursuivants Musulmans. Dans le feu de l'action, un Juif porta un
coup sur le bras de `Ali, disjoignant son bouclier qui tomba par terre et qu'un autre Juif ramassa et s'enfuit avec. Furieux, `Ali accomplit alors des tours de prouesses surhumains. IL sauta par
dessus la tranchée, s'approcha de la porte en fer de la forteresse, en arracha un battant et l'utilisa comme bouclier pendant le reste de la bataille (Abû Rafi`, l'un de ceux qui en avait donné 1
assaut, à la forteresse, avec Ali, affirme qu'après la guerre il examina la porte et qu'il essaya avec sept autres personnes de la retourner, mais sans succès). La citadelle fut finalement prise
et la victoire, décisive. Les Juifs perdirent dans cette bataille quatre-vingt treize hommes, alors que les Musulmans n'eurent que dix-neuf tués.
Après la prise de la citadelle, lorsque `Ali revint victorieux vers son camp, le Prophète, le voyant arriver, sortit de sa tente et l'accueillit à bras ouverts. L'embrassant
chaleureusement, il baissa son front et lui déclara que ses services pour la Cause Divine étaient appréciés par le Tout-Puissant Juge et par lui-même, en tant que Son Prophète. `Ali versa des
larmes de joie en entendant ces propos. Le Prophète redonna foi à ses adeptes qui avaient échoué dans les précédentes tentatives en mettant en évidence l'exemple de `Ali à qui il donna le surnom
glorieux d' "Asad-Allâh" (Le Lion de Dieu)
Après la défaite des Juifs, la forteresse accepta de se rendre à condition que ses habitants fussent libres de quitter le pays en abandonnant tous leurs biens aux conquérants, et en
n'emportant, pour chacun, qu'un chameau et une charge de denrées alimentaires. Tout recel d'objets de valeur était assimilé à une infraction aux conditions de l'accord, et le coupable était
passible de la peine capitale. Ceux qui préféraient rester dans le pays devaient occuper leurs maisons et y résider. Ils pouvaient cultiver la terre qu'ils possédaient à titre de premier occupant
(mais ils n'avaient pas le droit de posséder une propriété immobilière) à condition de payer au conquérant la moitié de la production, et ce dernier pouvait les congédier à sa guise.