Au nombre de ce qui est indispensable au pèlerin spirituel dans tous les actes de culte – et tout particulièrement dans la Prière qui est le plus éminent de tous et qui a [parmi eux] le
rang de synthèse –, il y a l’humble soumission (khoshû‘), qui consiste en une attitude de docilité (khozû‘) totale mêlée d’amour ou de crainte et qui s’obtient lorsque l’on perçoit ce qu’il y a
de grandiose, d’imposant et de solennel dans la Beauté et la Majesté divines. De manière plus explicite, disons que les cœurs des pèlerins spirituels sont naturellement et foncièrement différents
:
Certains cœurs sont des cœurs aimants et des lieux d’apparition de la Beauté divine. Ils se tournent par nature vers la beauté de l’Aimé et, lorsque dans leur pèlerinage spirituel ils
perçoivent un reflet du Beau ou contemplent le Principe de la beauté, la grandeur cachée dans les tréfonds de la beauté les ravit à eux-mêmes et les plonge dans un état d’inconscience (ma$w). Il
y a en effet de la majesté cachée en toute beauté et de la beauté voilée en toute majesté, ce à quoi Sa Seigneurie le Maître des gnostiques et le Commandeur des fidèles et des pèlerins
spirituels, [‘Alî fils d’Abû Xâleb] que Dieu prie sur lui et sur sa famille toute entière, a pu faire allusion en disant : « Gloire à Celui dont la miséricorde s’étend à Ses amis dans l’intensité
même de Sa vengeance et dont la vengeance frappe Ses ennemis dans l’ampleur même de Sa miséricorde ». Ce qu’il y a de solennel, de grandiose et d’imposant dans la Beauté divine les domine alors
et un état d’humble soumission devant la beauté de l’Aimé se fait jour en eux. Au début, cet état ébranle et trouble le cœur, mais après qu’il se soit stabilisé (ba‘d az tamkîn), une intimité
paraît, l’effroi et le trouble engendrés par cette grandeur font place à l’intimité et à l’apaisement, et un état de quiétude se fait jour, tel l’état du cœur de l’Ami intime du
Tout-Miséricordieux, [le Prophète Abraham] que la Paix soit avec lui.
D’autres cœurs sont des cœurs craignants et des lieux d’apparition de la Majesté divine. Ceux-là perçoivent sans cesse la grandeur, la gloire et la majesté : leur humble soumission découle
de la crainte et ce sont les Noms de Majesté et de Domination qui se manifestent en leurs cœurs, comme c’était le cas de Sa Seigneurie Jean [le Baptiste], que la Paix soit avec notre Prophète,
avec sa famille et avec lui.
Ainsi, l’humble soumission est mêlée tantôt d’amour et tantôt de crainte et d’effroi – bien qu’il y ait de l’effroi en tout amour et de l’amour en toute crainte –, et ses degrés sont
fonction du degré avec lequel sont perçues la Grandeur, la Majesté et la Beauté divines. Or, comme nous sommes, nous et nos semblables, privés de la lumière des dévoilements contemplatifs, nous
devons inévitablement nous employer à trouver cet état d’humble soumission par un savoir accompagné de foi.
Dieu le Très-Haut a dit : « Les fidèles, ceux qui sont humblement soumis dans leur Prière, ont certes trouvé le salut » (Cor. 23.1-2), faisant de l’humble soumission dans la Prière une des
caractéristiques et des marques de la foi. Donc, en vertu de ce qu’a dit la Sainte Réalité divine, toute personne qui n’est pas humblement soumise dans sa Prière est exclue du groupe des fidèles,
et nos Prières à nous autres, qui ne sont pas accompagnées d’humble soumission, sont le résultat d’un manque ou d’une absence de foi. Du fait que la conviction et le savoir sont autre chose que
la foi, la connaissance de la Réalité divine et de Ses Noms et Attributs, ainsi que toutes les autres connaissances spirituelles qui se trouvent en nous, sont autre chose que la foi. Comme en
témoigne la Sainte Réalité divine, Satan a connaissance du Principe des choses et de leur retour final à Dieu (‘elm be mabda’-o ma‘âd), et malgré cela, c’est un infidèle. [Satan] dit : « Tu m’as
créé de feu et Tu l’as créé d’argile » (Cor. 7.12) ; il reconnaît donc l’existence de la Réalité suprême et Son activité créatrice. Il dit [encore] : « Donne-moi un délai jusqu’au jour où ils
seront ressuscités » (Cor. 7.14) ; il est donc convaincu du retour final à Dieu.
Il connaît les Livres révélés, les Prophètes et les Anges, et malgré cela Dieu l’a appelé “infidèle” et l’a exclu du groupe des fidèles. Il y a donc une distinction entre gens de savoir et
gens de foi : tout homme de savoir n’est pas homme de foi. Il faut donc, suite à la démarche scientifique, entrer dans les rangs des fidèles et faire saisir au cœur la grandeur, la majesté, la
splendeur et la beauté de la Réalité divine à la grandeur ô combien majestueuse, afin que le cœur se fasse humblement soumis, car le savoir seul n’amène pas cet état : vous voyez bien en
vous-mêmes que, tout en étant convaincu de l’existence du Principe et du retour final à Dieu, tout en étant convaincu de la grandeur et de la majesté de la Réalité divine, votre cœur n’est pas
humblement soumis.
Quant à la parole divine : « N’est-il pas temps, pour ceux qui ont la foi, que leur cœurs se soumettent humblement au rappel de Dieu et à la vérité qui a été révélée ? » (Cor. 57.16),
peut-être concerne-t-elle la foi formelle, qui consiste à être convaincu de ce qu’a apporté le Prophète, que Dieu prie sur lui [et sa famille], car la foi véritable est inséparable d’un certain
degré d’humble soumission ; à moins qu’il ne soit question, dans ce noble verset, de degrés accomplis de l’humble soumission. De manière analogue, [le terme de] “savant” est parfois appliqué à
quelqu’un qui est passé du degré du savoir à celui de la foi, et il est probable que ce soit à de telles personnes qu’il est fait allusion dans le verset : « Seuls craignent Dieu les savants
d’entre Ses serviteurs » (Cor. 35.28). Dans le langage du Coran et de la Sunna, “savoir”, “foi” et “islam” ont été appliqués à des degrés divers dont l’exposé sortirait du cadre de ces
pages.
Bref, il est indispensable que, grâce à la lumière du savoir et de la foi, le pèlerin de la voie de l’au-delà – tout particulièrement celui qui avance avec ce moyen d’ascension qu’est la
Prière – se fasse humblement soumis et enracine autant que possible en son cœur ce frêle reflet d’une réalité divine et cette lueur provenant du Tout-Miséricordieux, voire qu’il puisse préserver
cet état dans toute sa Prière. Même s’il est au début quelque peu ardu et difficile, pour des gens comme nous, d’en faire un état stable et constant, avec un peu de pratique et d’ascèse du cœur,
c’est une chose fort réalisable.
Très cher, l’acquisition de la perfection et d’un viatique pour l’autre monde exige une quête zélée : plus ce qui est recherché est grand, plus il convient de se montrer zélé pour y
atteindre. Assurément, l’ascension jusqu’à la proximité divine et la station du proche voisinage du Seigneur Tout-Puissant ne s’obtiendront pas avec un tel état d’indolence, de tiédeur et de
nonchalance : il faut se mettre virilement à l’ouvrage pour atteindre au but recherché ! Vous avez foi en l’autre monde et vous considérez que ce monde-là n’est en rien comparable à celui-ci, car
ce monde-là est un monde permanent et éternel qui ne connaît pas la mort ni l’anéantissement : celui qui y est heureux vit dans un bien-être, une gloire et un délice perpétuels, un bien-être sans
pareil en ce monde, une gloire et une souveraineté divines qui n’ont pas d’équivalent en ce monde et des délices que personne n’a même imaginé ; et il en va de même pour le malheur en ce
monde-là, dont les tourments, les représailles et les sanctions n’ont pas d’équivalent en ce monde. Or le moyen d’atteindre à ce bonheur est d’obéir au Seigneur Tout-Puissant, et parmi les actes
d’obéissance et de culte, aucun n’atteint le rang de cette Prière, qui est un baume divin, synthèse [de tous les remèdes], qui garantit le bonheur de l’être humain et dont l’acceptation [par
Dieu] entraîne l’acceptation de toutes les œuvres. Il vous faut donc faire preuve du plus grand zèle dans la quête de ce [baume], n’épargner aucun effort et supporter pour cela les peines. Or il
n’y a même pas là de peine : si vous êtes quelque peu assidu et que cela devienne familier à votre cœur, vous trouverez en ce monde même dans les entretiens intimes avec la Réalité divine des
plaisirs qui ne sont comparables à aucun des plaisirs de ce monde, comme cela apparaît clairement lorsqu’on lit les biographies des familiers de ces entretiens intimes avec la Réalité
divine.
Brièvement dit, l’essentiel de ce que nous avons évoqué dans ce chapitre est que, après avoir pris conscience de la grandeur, de la beauté et de la majesté de la Réalité divine par la
démonstration ou par ce qu’en ont dit les Prophètes, que la Paix soit avec eux, il faut en faire prendre conscience au cœur et, peu à peu, par la remémoration et un rappel incessant de la
grandeur et de la majesté de la Réalité divine, faire pénétrer en lui une attitude d’humble soumission jusqu’à obtenir le résultat recherché. Et dans chaque état, le pèlerin spirituel ne doit pas
se satisfaire du niveau qui est le sien, car les niveaux que des gens comme nous obtiennent ne valent pas un sou sur le marché des gens de la connaissance et ne pèsent pas lourd sur celui des
gens du cœur : dans tous les états, le pèlerin doit se remémorer ses manques et ses défauts, peut-être qu’une voie vers le bonheur s’ouvrira de cette manière, Dieu en soit loué.