Sache que les gens du pèlerinage spirituel ont, en cette station comme dans les autres, d’innombrables degrés et niveaux. Nous allons sommairement en évoquer certains, car dénombrer tous
les degrés et en cerner tous les aspects est au-delà des capacités de votre humble serviteur : « Les voies vers Dieu sont aussi nombreuses que les souffles des créatures. »
L’un de ces degrés est celui du savoir (‘elm). Il consiste à montrer par une démarche scientifique et par démonstration philosophique l’humble condition de la servitude et la grandeur de la
Seigneurie. C’est là une des connaissances primordiales : il est en effet clairement établi dans les hautes sciences et la philosophie transcendante que tout le domaine de la réalité et
l’ensemble de l’existence est pur lien et dépendance et totale pauvreté et dénuement, que la puissance, la possession et la souveraineté sont réservées en propre à la Sainte Essence divine toute
de grandeur, que nul n’a quelque part que ce soit à la grandeur et à la puissance, et que l’humble condition de la servitude et de la pauvreté est inscrite au front de chacun [des existants] et
immuablement établie dans leur réalité essentielle. La réalité de la gnose et de la contemplation et le résultat de l’ascèse et du pèlerinage spirituel consistent à écarter le voile qui recouvre
cette vérité et à voir en soi-même et dans tous les existants l’humble condition de la servitude ainsi que l’état fondamental de pauvreté et de dépendance. Il se peut que l’invocation « ô mon
Dieu, montre-moi les choses telles qu’elles sont », [invocation] attribuée au seigneur des créatures, que Dieu prie sur lui et sa famille, fasse allusion à cette station, à savoir qu’il demandait
à contempler l’humble condition de la servitude, [contemplation] qui implique celle de la grandeur de la Seigneurie.
Si celui qui avance sur la route de la vérité et voyage sur le chemin de la servitude en suivant une démarche scientifique et en avançant par la réflexion a parcouru cette étape, il prend
place dans le voile du savoir et atteint au premier degré d’humanité. Or c’est là un voile épais dont on a dit : « Le savoir est le plus grand voile » (al-‘elm howa l-hedjâb al-akbar). Il faut
que le pèlerin spirituel ne reste pas dans ce voile et qu’il le traverse. S’il se contente de cette station et enferme son cœur dans cette prison, il se peut qu’il régresse progressivement. A ce
niveau, la régression (estedrâdj) consistera à s’occuper des multiples ramifications de ce savoir, à user de sa réflexion pour multiplier les preuves de cette question, à rester privé des autres
étapes, à attacher son cœur à cette station, à négliger ce qui est le but de la quête – à savoir d’arriver à l’extinction en Dieu – et à passer sa vie dans le voile de la démonstration et de ses
branches — et plus elles se ramifieront, plus le voile s’épaissira et plus il sera voilé à l’égard de la vérité essentielle. Le pèlerin spirituel ne doit donc pas se laisser tromper par Satan à
ce niveau et en rester là de sa quête, voilé à la Réalité divine et à la vérité par la multiplicité et l’abondance des savoirs ainsi que par la force des démonstrations. Il doit retrousser les
manches des hautes aspirations, ne pas négliger de rechercher avec zèle ce qui est le véritable objet de la quête et se hisser au niveau suivant qui est le second niveau.
Celui-ci consiste à graver sur la surface du cœur, au moyen du stylet de l’intelligence, tout ce que l’intelligence a saisi à force de démonstration et par la démarche scientifique, à faire
réellement saisir à son cœur l’humble condition de la servitude et la grandeur de la Seigneurie, et à en finir avec les voiles et les chaînes du savoir. Nous ferons très bientôt allusion à ce
niveau, si Dieu le veut. Le résultat de ce second niveau est l’obtention de la foi (îmân) en les vérités essentielles.
Le troisième niveau est celui de la sérénité et de la quiétude de l’âme (exmînân-o xoma’nîne), qui est en réalité le degré accompli de la foi. Le Très-Haut a dit, en s’adressant à Son ami
intime [le Prophète Abraham, que la Paix soit avec lui] : « “N’as-tu pas la foi ?” Il répondit : “Si ! Mais afin que mon cœur se rassérène” » (Cor. 2.260). Peut-être sera-t-il aussi fait allusion
à ce degré par la suite.
Le quatrième niveau est celui de la contemplation (moshâhada), laquelle est une lumière divine et une théophanie du Tout-Miséricordieux qui accompagne l’apparition des théophanies des Noms
et Attributs divins dans le for intérieur du pèlerin spirituel et qui illumine totalement son cœur d’une lumière contemplative. Ce niveau comporte beaucoup de degrés dont la mention dépasse la
capacité de ces pages. A ce niveau paraît un avant-goût de la “proximité relevant des œuvres surérogatoires” (qorb an-nawâfel) – « Je suis son ouïe, son regard, sa main… » – et le pèlerin
spirituel se voit lui-même noyé dans l’océan de l’infini. Il pénètre dès lors dans un océan fort profond dans lequel un aperçu des mystères de la prédestination lui sera dévoilé.
Il existe, pour chacun de ses niveaux, des modalités propres de régression, en lesquelles il y a grand risque de perdition pour le pèlerin spirituel. A tous les niveaux, le pèlerin doit se
dégager de l’égoïsme et de l’égocentrisme, ne pas tout ramener à lui et à son propre vouloir, car c’est là le principe de la plupart des choses funestes, tout particulièrement pour un pèlerin
spirituel. Nous ferons allusion à cela par la suite, si Dieu le veut.